Manuscrits philosophiques clandestins

Le fonds de manuscrits philosophiques clandestins de la Bibliothèque Mazarine

On connaît les étapes de formation de la Bibliothèque Mazarine jusqu'à sa réouverture, en 1689, dans le palais conçu par Louis Le Vau pour le collège des Quatre-Nations. À cette époque, la Bibliothèque Mazarine conservait très peu de manuscrits. Mazarin en avait pourtant possédé un nombre important, plus de 2 000, médiévaux et modernes, en diverses langues (latin, français, grec, hébreu, arabe, italien, espagnol, etc.) ; mais après sa mort on exigea, moyennant finances, leur cession à la Bibliothèque royale. Ils sont maintenant répartis entre les différents fonds linguistiques du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale.
De 1689 à 1789, la Bibliothèque Mazarine fonctionna sans encombres au rythme de deux jours d’ouverture par semaine et elle développa régulièrement ses collections par des achats et par des dons. C’est ainsi que l’abbé Joseph Dinouart (1716-1786) lui donna, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, plusieurs livres imprimés et au moins deux manuscrits, dont une copie de l’Histoire de Mahomet et de ses premiers successeurs du comte de Boulainvilliers (ms. 1948).
Mais c’est pendant la Révolution française que la Bibliothèque Mazarine retrouva une collection importante de manuscrits. Les responsables des bibliothèques publiques furent autorisés à prélever des livres pour leurs établissements respectifs dans les dépôts littéraires, où avaient été rassemblés les volumes confisqués auprès du clergé, des émigrés et des condamnés à mort, des universités, sociétés littéraires, académies et corporations, et ainsi devenus propriété de la Nation. Il subsiste ainsi des listes de livres que l’abbé Michel Le Blond, bibliothécaire des Quatre Nations (c’est le nom que portait alors la Bibliothèque Mazarine) obtint des dépôts littéraires, essentiellement ceux de Louis-la-Culture et des Cordeliers et, plus épisodiquement, de celui des Capucins Saint-Honoré, de ceux des rues de Lille, de Thorigny et Marc et de ceux de Versailles et de Saint-Denis. Mais la consultation de ces listes est assez décevante et, en ce qui concerne les manuscrits, elle s’apparente à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin. Ces listes comportent généralement, outre le nom du dépôt littéraire et la date du prélèvement, un nom et (ou) un titre, la mention "ms" pour les manuscrits, le nombre de volumes, le format et, dans la marge de gauche, le nom du possesseur antérieurement au versement du livre dans un dépôt littéraire. Mais les titres sont parfois très vagues. Le mot "ms" pour les manuscrits et le nom du possesseur primitif ne sont pas toujours indiqués, ce qui rend les identifications fort aléatoires.
Pourtant, plusieurs des manuscrits décrits dans le présent inventaire peuvent être attribués de façon certaine en raison de la présence d’une estampille du XVIIIe siècle ou d’un ex-libris, notamment au Séminaire de Saint-Sulpice (ms 1166, 1176, 1178, 3527, 3528, 3563), à l’abbaye de Saint Victor (ms 1072) ou au couvent des Théatins (ms 1579).

Les listes révolutionnaires indiquent comme provenant du couvent des Barnabites Saint-Eloi un ouvrage intitulé “ J. Bodini heptaplomeres ms ”. Cette indication pourrait correspondre au manuscrit 3529 ou au manuscrit 3530. Mais ni l’un, ni l’autre de ces manuscrits ne porte l’estampille du couvent des Barnabites qui figure pourtant habituellement sur les livres et les manuscrits ayant appartenu à ce couvent.
Les manuscrits 1946-1947, qui renferment l’Histoire de Mahomet du comte de Boulainvilliers et qui sont reliés en veau fauve, portent au milieu du plat un petit fer reproduisant des armoiries qui sont celles soit de Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1737), soit de son fils, Louis-Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre (1725-1793).
Le manuscrit 1165 porte collé au contreplat supérieur un ex-libris gravé armorié avec l’inscription “ex-libris Francisci Roux et amicorum” . Il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une acquisition (achat ou don) de la seconde moitié du XVIIIe siècle ou d’une attribution de l’époque révolutionnaire.
Enfin treize manuscrits philosophiques parmi ceux dont la provenance n’a pas été retrouvée forment un groupe particulier déterminé par les caractéristiques communes de leurs reliures. Ce sont les manuscrits 1168, 1183, 1189, 1190, 1191, 1192, 1193, 1194, 1195, 1197, 1198, 1199, 3564. Ils sont recouverts de veau fauve légèrement raciné ou moucheté de noir. Leurs plats sont décorés par un encadrement de trois filets dorés et par une fleur de lys dorée dans chacun des quatre angles du plat. Cette fleur de lys est répétée sur le dos des manuscrits 1193 et 1199 ; le dos des autres manuscrits de ce groupe est décoré de fleurons datables par leur style du XVIIIe siècle.

D'après un texte de Pierre Gasnault (1928-2016), directeur honoraire de la Bibliothèque Mazarine, rédigé en 1994.