Tabarin [cliché David Le Borgne]

Combat de Farces : Tabarin & Grattelard

Une représentation dans la cour d'honneur de l'Institut de France, le samedi 13 juin 2026 à 20h30, par la compagnie Oghma.

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À l’occasion du quatrième centenaire de la mort de Tabarin (1584-1626), commémoré par France Mémoire, la Compagnie Oghma s’empare du répertoire du farceur, pour raconter l’effervescence de la vie des tréteaux parisiens du XVIIe siècle. En 1620, deux troupes régnaient en maîtresses sur le Pont-Neuf et la Place Dauphine, dominant bateleurs et colporteurs de pamphlets et d’almanachs : celle de Tabarin, qui avait joué devant le roi et la reine mère, et celle de Grattelard, dont le chef se donnait le titre de Baron. La concurrence était rude pour attirer les rires des badauds, tandis que s’inventait une galerie de personnages savoureux qui marqueront l’histoire du théâtre. 
     C’est à la découverte d’un pan de celle-ci que le spectacle invite, pour faire vivre à nouveau deux troupes qui firent leur succès à l’ombre de la Tour de Nesle.

Avec : Maxime Ardant, Charles Di Meglio, Saraé Durest, Romaric Olarte

Tabarin 2026 01

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Tabarin (1584-1626), de son vrai nom Antoine Girard, est un rescapé de l’oubli dans lequel l’avènement du théâtre régulier plonge la farce à partir du deuxième tiers du XVIIe siècle.

   Acteur avant tout, chef de troupe, et auteur — comme l’ont été avant lui Pathelin, Agnan Sirat (à la laide trogne), comme le sont ses contemporains Gros-Guillaume, Bruscambille, Turlupin, et comme le sera son successeur Molière — il écrit pour ses pairs, dont il connaît toutes les qualités, qu’il exploite avec brio, dans de vraies œuvres chorales, mettant en avant le plaisir du jeu et la joie de la troupe. Son succès témoigne de la vitalité et de l'importance de la farce dans le paysage théâtral du règne de Louis XIII.

   Sur ses tréteaux plantés sur la Place Dauphine alors toute neuve, il forme un duo comique avec son frère, Philippe — sous le pseudonyme de Monsieur de Mondor. Ils vendent onguents et remèdes, grâce à leur boniment hors-pair. Par une autorisation exceptionnelle, la troupe donne des farces le vendredi. On y retrouve une galerie de personnages récurrents, à géométrie variable et dont les relations sont interchangeables. Paraissent Lucas Joffu et Piphagne, deux vieillards souvent lubriques, Isabelle, jeune première, Francisquine, souvent mariée à Tabarin et forte femme, le Capitaine Rodomont, matamore qui parle un espagnol de pacotille. Ces types qui s'inventent en irrigant autant les comédies française qu'italienne, se retrouveront jusque bien avant dans le XVIIIe siècle.

   Les intrigues sont simples, on frôle l'absurde : tout sert à provoquer le chaos, le bon mot, le gag. Contrairement à la farce des XVe et XVIe siècles, il n’y a pas ici de portée morale qui devrait édifier le spectateur. Le rire prime, et avec lui, une féroce cruauté peut s’installer. On ne craint pas les coups de bâton et chacune des farces se termine, comme il se doit, par la didascalie : tous se battent. Des calembours se retrouvent d’une farce ou d’un dialogue à l’autre, les gags aussi, attestant de leur succès et de la friandise du public à les revoir ou les réentendre.

   Le nom de Tabarin devient une marque à part entière : les contrefaçons pleuvent et, comme Scarron s’en plaindra à son propre sujet pendant la Fronde (Cent quatre vers contre ceux qui font passer leurs libelles diffamatoires sous le nom d'autrui, Paris, Toussaint Quinet, 1651), on publie de nombreux textes, recueils, pamphlets en utilisant son nom. C’est ce succès d’édition qui permet à son répertoire propre d’émerger de l’oubli dans lequel celui de nombre de ses pairs a sombré. La troupe joue à plusieurs reprises devant Marie de Médicis exilée à Blois, et elle la rétribue une petite fortune (600 livres une première fois, puis 300 une deuxième fois, le tout en 1618).

   La troupe disparaît vers 1624 quand les deux frères se retirent. Antoine meurt en 1626, mais son nom ne disparaît pas : on continue à publier ses dialogues, ses farces, ses Descente ou Rencontres aux Enfers (sortes d’épitaphes dialoguées et comiques de la littérature de colportage), jusqu’au moins dans les années 1660 (Signée par Louis Du Mesnil, une édition de 1664 semble être une contrefaçon hollandaise imprimée à La Haye). Ainsi, impossible de penser que Jean-Baptiste Poquelin, même si tout historien du théâtre rêve de connaître l’inventaire de sa bibliothèque, n’ait pas lu Tabarin. Les éditions pirates associent rapidement son nom à celui de Grattelard (pseudonyme de Desiderio Des Combes), qui pratique le même métier, écrit également des farces, et se produit en face, sous la statue équestre du Pont-Neuf.

  Le Pont-Neuf, qui n’oublie pas ses héros, se souviendra lui aussi de Tabarin longtemps après sa mort. Plus de vingt ans plus tard, c’est souvent sous son nom que l’on désigne le Cardinal-Ministre, pour souligner ses tours d’adresses et sa fausseté. Italien, comédien, farceur : la cible des attaques de ce déluge de pamphlet ne peut être que fourbe !

Le spectacle redonne vie à ses jalons négligés de l'histoire du théâtre, et propose de baigner le spectateur dans l'effervescence qui devait régner autour de la Tour de Nesle, bien avant que Mazarin ne fonde son collège et la Bibliothèque Mazarine. Sacs, coups de bâton, jeu parfois masqué, et plaisir de voir des acteurs incarner plus d'une dizaine de sacrés zozos, le tout emporté par la musique populaire que fredonnaient les lèvres amusées des facéties de la troupe.

Charles Di Meglio