Manuscrits philosophiques clandestins

Présentation

Le chercheur – littéraire ou philosophe, dix-huitièmiste ou dix-septièmiste, étudiant, spécialiste ou simple curieux... – trouvera dans le texte de Pierre Gasnault toutes les précisions souhaitables sur l’origine et la nature du corpus qui constitue la matière du présent ensemble, et dans celui de Geneviève Artigas-Menant tout ce qu’il a besoin de savoir pour aborder dans les meilleures conditions la consultation des « fiches d’inventaire » qui en constituent la masse : il sera en mesure de saisir la spécificité du domaine de la littérature philosophique clandestine de l’âge classique dont la Bibliothèque Mazarine donne à voir un échantillonnage particulièrement brillant, l’historique de la recherche qui la prend pour objet, la méthode utilisée dans l’enquête dont ces fiches sont le résultat, les questions de toute sorte que posent ce domaine, cette recherche, et cette enquête, les débats auxquels ils ont donné lieu et qui ne sont pas près d’être clos, et leurs enjeux.
Je ne peux donc ici que le renvoyer sur tous ces points à leurs présentations.
Tout ce que je veux signaler, c’est d’abord, en tant que responsable pour une part du démarrage de l’enquête, le caractère collectif de celle-ci, la collaboration internationale qu’elle suppose, suscite et développe, la perspective de longue durée qu’elle trace en l’inaugurant : étudiants et enseignants, à tous niveaux, chercheurs, spécialistes de diverses disciplines et amateurs (au sens le plus noble du terme) se sont rassemblés pour l’engager et la poursuivre, dans un renouvellement continu.
On peut noter à ce propos que la recherche reproduit de belle façon les caractères de son objet, ceux qui dérivent de ce caractère collectif, où les individualités, comme autrefois Lanson puis Wade, aujourd’hui par exemple Miguel Benítez, Françoise Weil, Ann Thomson, Antony McKenna, Geneviève Artigas-Menant... – et j’omets tant de chercheurs que nul, je l’espère, ne devrait s’en formaliser (qu’ils veuillent en tout cas m’excuser !) – sont, comme les groupes et sous-groupes qui y participent, à la fois marquées, plus ou moins farouchement, et en fin de compte coopératives.
Je veux aussi, en tant qu’historien de la philosophie, signaler l’intérêt que cette enquête revêt en propre pour cette histoire et l’histoire des idées, l’histoire de la société et celle de l’esprit humain : ce sur quoi ces fiches nous donnent des lumières, ce sont les manifestations d’un courant, d’un style, d’un type de pensée et d’écriture, qui déplace les cadres anciens de la périodisation, les délimitations des époques, des milieux, des genres, précisément parce qu’il a pour trait ou orientation caractéristique de déplacer, de déranger, de subvertir.
Les perplexités où vous plonge l’enquête qui s’ouvre ici sur ces textes, leurs auteurs, et l’individualité de ceux-ci et de ceux-là, rejoignent du coup les questionnements et transgressions disciplinaires, interdisciplinaires, et autres, de notre temps.
Elle donne aussi, et d’abord, aux spécialistes la leçon d’avoir à dépasser pour eux-mêmes et entre eux les clivages, les interdits, les exclusives et exclusivismes auxquels risquerait de les porter la spécialisation même de leur recherche, menée dans le calme discret des bibliothèques qui, anciennes ou modernes, ne sont poussiéreuses que dans les clichés qu’en tirent ceux qui n’y ont jamais mis les pieds.
Avec ou sans poussière, par elle, à travers elle ou sans elle, elle apporte en tout cas des bouffées d’air frais pour toutes ces histoires.
Et à cet égard, que ce soit un des historiens de la littérature dans la tradition la plus classique du terme, Gustave Lanson, qui ait, au début du XXe siècle, découvert l’existence de notre domaine de recherche, en ait fait apercevoir l’ampleur et la signification, indiqué les enjeux, a décidément quelque chose de bien réconfortant.

Olivier Bloch